Un enfant

 C’est étrange un enfant. Il grandit, disparait tout en restant le même, ses questions déposées dans un endroit secret. Il reste quelques traces légères. Disséminées, elles errent, leurs réponses perdues. Les réponses-refus, les réponses-fantômes, les réponses-fermées qui invitent à se taire, toutes ces réponses malaxent, modèlent à son insu des formes ambigües, des masques, des grimaces qui tressent brins à brins de solides cordages, qui trament fils à fils de raides camisoles. C’est étrange un enfant, il grandit, disparait tout en restant le même, rivé à sa fenêtre, regardant le décor, ce petit bout de mer, le ciel par delà le port, une place déserte, des vieilles mammas réunies, parlant malgré le vent qui dévore leurs mots jetés loin, bien loin des fenêtres. C’est étrange un enfant. Violent sans doute. Ou peut-être. Il a tué le nouveau-né mais pour pouvoir survivre, prendre place, exister. Une place… Y trouveras-tu tes rêves, tes délices ? Y trouvons-nous misère, froid, supplice ? Qu’y a-t-il à trouver dans ce qui est figé ? Vaine quête.

 Mais, la fureur, les rires, la douceur d’un nuage, le vol, lourd, d’une abeille surchargée de pollen et sur l’horizon courbe, la lueur inégale d’une nuit qui s’achève, les poussières d’extase. Mais les yeux de l’autre, enchanté-e, enchanteur-resse… Avant.

 Avant tous les décors, toutes ces fenêtres, quand nous étions encore lumière, nuit stellaire, quand nous étions de sable, dunes, de vent, quand nous étions entailles, grèves, océans, quand nous étions falaise, le pic et le ravin, quand nous étions tout corps, les regards, les visages, quand nous étions rosée, la pluie, nuages, quand nous n’étions pas nous, ni non plus aucun-e autre, quand nous étions toutes et aussi tous les autres, chaque fibre et tissu, chaque fil et tout lien, quand nous étions souffle, mouvement, presque rien.

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