Par la fenêtre ouverte
Par la fenêtre ouverte, comme une toile d’immeubles peints, un petit carré de ciel, le souvenir de la présence toute proche de la mer, l’entrée du port. Dans la pièce, l’espace s’encombre tellement vite et le canari qui chante dans sa cage ne le soupçonne pas. Il y avait quelques plantes, une photo posée sur la cheminée, des bibelots, napperons au crochet, objets hétéroclites dépourvus même d’inutilité. Un étrange silence régnait entre ces murs traversés toutefois d’appels de voisines criant depuis les étages, partageant de leurs voix tonitruantes chansons de la radio, nouvelles du quartier, des familles, ; vigies myopes et craintives.
Que faire, ras du sol, posé là sans histoire, sans récit, assoupi peut-être, silencieux à coup sûr ? Dehors le coin de ciel bleu uniforme, le minuscule bout de mer mais les cris des oiseaux, mouettes, goëlands et aussi, assises là, en bas dans la rue, quatre étages plus bas, les vieilles parloteuses, leurs bavardages lointains que le vent aussitôt disperse.
Partir évidemment. Partir comme tous ces navires, solidement amarrés aux bollards sur le port, attendant ligotés, le moment vers le large. Partir, sans une voile, sans moteur et sans rame, l’ancre disparue, partir à l’aveuglette comme roule un tambour, s’envole une mèche.
Dans ces tourbillons de vent à la croisée des ruelles grimpant en escaliers au sommet de la butte, dévalant vers les places où chantent les marchandes, où fusent les insultes, où s’empoignent ces gens, humiliés habitants, orgueilleux de leur geste.
Tandis que se percutent les semonces, les rires, les caresses, pincements, tour à tour s’annihilent, se troublent, se confondent. Les traces, les relents se perdent ou s’ignorent. Peu à peu, sûrement, s’érige une absence. L’absence de l’avant. Du foyer d’origine.
D’où, sont-ils devenus ? Avant ceux qui parlent, volubiles, ceux qui ont parlé d’eux, de leurs autres avant eux, d’où sont-ils devenus ? Nul ne sait vraiment ce qu’ils furent ; s’ils furent d’ici, de là-bas. Quel là-bas ? Ce que furent leur aventure, leur trépas. Sait-on par quel chemin, avec quelles griffures, ce qu’ils ont emporté, transporté, par delà les cortèges, processions, sépultures, au-delà des mémoires, qui les a racontés ? Où le fil s’est-il détaché ?
Par la fenêtre ouverte, il ne voit qu’un décor. Dans cette pièce factice, assigné à demeure, il attend sans savoir reconnaître l’espoir derrière la peur, s’il demeure un autrefois, s’il existe un ailleurs.